Je n'ai pas de lien à claquer et on dit "faiS pas chier"
Un détail sur cette soirée : Sieur CHAdBuRne a vu un tabouret sous le pied de Zorn et un cuir.
Perso., je n'ai pas vu de tabouret, ni de cuir (mais une sorte de sweet souple à fermeture éclair). Zorn lève parfois la jambe gauche et y appuie l'extrémité de son sax pour sortir (ou retenir...) des sons étouffés. Peut-être est-ce là ce qui l'a induit en erreur.
Il me semble de mémoire qu'il avait un pupitre devant lui pour Masada et absolument rien pour Painkiller, mais je peux me tromper.
Merci à CHAdBuRne d’avoir évoqué un certain Roland Kirk que je ne connais pas mais qui, du coup, suscite mon vif intérêt > CHAdBuRne, des conseils d’albums à distiller ? Je suis preneur.
Bon, j'ai opéré à de grosses coupes sur la partie carnet de voyage et je fais un copié/collé de l'essentiel, les 3 concerts du Chapiteau de la Pépinière à Nancy:
20H
Le ciel continue de postillonner. Il ne fallait pas que j'attende à l'extérieur, comme je l'ai pourtant fait, après avoir roté mon sandwich. Pour avoir une place bien située dans les gradins, je veux dire. D'ailleurs, je ne suis pas bien convaincu d'y rester. D'une part, parce que je saurai vite si le son est bon de là où je suis et, d'autre part, en raison d'une fosse vide pour le moment qu'il est tentant d'aller investir (finalement, la fosse sera comble et je resterai à ma place, trop de gens gênant le passage pour redescendre de mon perchoir).
Le public, essentiellement générateur de testostérone, est plutôt à l'âge où le surplus pondéral représente un fatal confort pour ces dames, qu'une source de complexe. Beaucoup de 25 – 30 ans débraillés, c'est cool, on n'est pas dans une confrérie conservatrice de limiers de jazz intégriste. T'façon, avec Zorn, ceux-là ne vont pas faire long feu avant de retourner chez eux se remettre de leurs émotions en écoutant Wynton Marsalis.
Des traits blancs au sol, sur le bitume, donnent l'impression que le chapiteau a été dressé sur un parking. On patiente avec « Mezzanine » de Massive Attack, puis « Cool Jazz » d'Arthur H (ouais, c'est ça, attends encore 10 minutes, tah, et tu vas trouver ça furieusement moins ca-oul le jazz !!!)
Nous sommes dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsations, avant-dernier jour. Dans un petit instant, «
Carte blanche à John Zorn » dixit le programme, «
pour nous faire découvrir l'étendue de son œuvre et de son talent » est-il précisé. Je patiente en me disant qu'un jour faudra que j'arrive à caser un jeu de mots avec « Edouard Balladur » et « Les doigts baladeurs », heu, comme ça, pour m'occuper l'esprit à des pensées œcuméniques…
20H33
Malicieux, en sweet vert-kaki et sempiternel pantalon ersatz de treillis avec ces petits lambeaux de tissus marque ostentatoire de son appartenance à la communauté juive, Zorn déboule, presto, en longeant la scène, brandissant son saxophone, alto.
Ouverture sans préliminaire avec «
Classic Guide To Strategy »,
Zorn en solo . Plus d'une ½ heure d'expérimentations tonitruantes avec un sax, tantôt volontairement bouché, tantôt démonté, la anche servant d'appeau d'où sortent des sons de canards bioniques ou de grues épileptiques, des à-coups pétaradants donnant la réplique à des phrasés hystériques, quand la anche n'est pas noyée dans un ver d'eau pour sortir des sons d'eau en ébullition. Choc frontal cartoonesque à souhait. Au-delà de la trisomie fiévreuse qui semble l'habiter, Zorn sort le saxo de son utilisation première, et montre combien d'apparentes grimaces il faut maîtriser pour raconter une histoire déglinguée incluant 10 personnages ectoplasmes fantasmagoriques avec un seul instrument. Avant tout drôle et foutrement irrévérencieux.
La Pépinière s'amuse.
Moi aussi, à observer les tronches immanquablement médusées de ceux venus en total découverte ; public partiellement dérouté, voire pas du tout convaincu comme je le devine sur les bras fermement croisés de mon voisin dont le visage exprime un « mais qu'est-ce qu'il fait ? » assez flagrant. Ou enjoué et plus « connaisseur » comme un autre de mes voisins qui qualifiera de « sans concession, brut », la prestation sonore à laquelle nous venons d'assister. J'ai envie d'engager la conversation avec n'importe qui, surtout avec mon ronchon à droite. Non pas pour essayer de le convertir absolument, juste pour lui dire que oui, on peut envisager l'instrument sous un autre angle que celui auquel on s'attend, pour le sublimer effrontément et ouvrir des portes, creuser d'autres sillons, qu'on est même pas obligé d'aimer mais ne surtout pas qualifier de « n'importe quoi » ce que cet esprit loin d'être dérangé ose apporter de neuf, quand on sait de surcroît quel est son parcours et ce qu'il fait de plus conventionnel.
En musique, le bizarre est souvent la soupape de survie de la gamme académique. L'Histoire le prouve. Prenez Moondog, Pink Floyd, Coltrane ou Zappa, par exemples aléatoires et dans un ordre de préférence qui débuterait par mon dernier cité. Chacun dans leurs horizons, d'abord brevetés saugrenus avant de passer au rang d'avant-gardistes pour finalement être panthéanoïsés, tuteurs de référence.
J'entends à côté de moi : « c'est à vous dégoûter du jazz ». Comment faut-il l'interpréter ? Positivement, à mon sens. Est-on vraiment dans le jazz ? Suis-je venu écouter du jazz ? En tous cas, un carcan explose, c'est sûr et ça me plaît. Ceux pour qui les conventions ne sont que déjà largement bafouées ont des chances de s'en remettre par la suite.
Masada est là.
Surprenant, sur le programme, cette formation acoustique devait clore la soirée. Je me prends à espérer d'autres imprévus.
Masada, ou comment allier énergie décontractée, petites incartades aux humeurs récréatives et semi-improvisations aussi courtes que calibrées. Jazz virtuose et pieds-de-nez. Télépathique, organique, nectarin (vérifiez quand même si ce mot existe, en tous cas, il me parle). Que ces gars font plaisir à voir. Contrebalançant le show solo précédent, Zorn le rusé, a choisi de présenter ensuite ce projet le plus reconnu, le plus accepté, pourtant goguenard comme tout ce qu'il fait, mais aux structures mélodiques faciles à identifier.
Je tiens à préciser que le répertoire de Masada est joué sous des géométries variables :
- 'Electric' (big band comprenant 2 batteurs, 1 percussionniste, 1 bassiste, 1 claviériste, 1 laptopienne [une joueuse… d'ordinateur, quoi et 1 saxo],
- 'Music Chamber' (orchestre lyrique jazz sublissime tout en velour > Bar Kohba),
- 'Récital' (duo piano/violon) 'String Trio' (violon/violoncelle/contrebasse),
- 'Masada Rock' (guitares/oud/basse/batterie),
- Et possède déjà ses Tributes et autres formes de reprises (les fabuleux 'The Unknown Masada', 'Voices In The Wilderness' et la série 'Book Of Angels', une merveille en 6 volumes à aujourd’hui : 'Astaroth', 'Azazel', 'Malphas', 'Orobas', 'Balan' et 'Moloch').
- Et, et, et, et : 'Masada Guitars' : Tim Sparks, Marc Ribot et Bill Frisell pour un inoubliable album de soli de guitares dites classiques (électro-acoustiques) à chialer sa génitrice.
Bref, du gros, du solide, du sérieux.
Au tour de
PainKiller.
Set endiablé qui me fait particulièrement plaisir car c'est Yoshida Tatsuya (monstrueux et magique batteur des Ruins) qui tient les baguettes à la place de Mick Harris (Napalm Death), membre du line-up original et de Hamid Drake (lui présent sur le Volume 12 de la série anniversaire des 50 ans de Zorn en 2003).
PainKiller est un mutant cosmique qui évolue dans la stratosphère pour plonger soudainement dans un Lochness dub où l'écho ronflant de la basse et de ses multiples effets tient le crachoir à un étrange boa (dé)constrictor sortant du saxo de Zorn. Dérives millimétrées et sauvagerie contenue d'impros ni jazz, ni métal. Plutôt thrashzz. L'acajou croise le fer. Le sax agit en fond entêté. La basse semble régner par moult effets de pédales sur un rac, et peut-être aussi en raison de la personnalité mystique de Bill Laswell dont l'attitude renfermée donne l'impression d'être là contre son gré ou pas satisfait de ce qu'il exécute. Ou qu'il est malade. Yoshida paraît être l'oreille la plus attentive aux digressions de ses acolytes, digressions élastiques qui semblent ne jamais aboutir. Je reste un peu sur ma faim. On dirait que c'est le cas de Zorn également, qui ira par 3 fois quasiment tirer par la manche Laswell pour les rappels. Je suis un inconditionnel de Yoshida Tatsuya mais je pense que Mick Harris aurait déversé une fougueuse sueur à l'ensemble (m'enfin, s'il préfère maintenant s'adonner à de plates SCORNneries, laissons-le tracer sa voie, après tout).
Je traverse le parc de la Pépinière en doublant des spectateurs pantois et manifestement pas initiés avant ce soir, qui conjecturaient sur les « bruits » produits par Zorn. Ils ont toutefois l'air épatés par le panorama de cet univers iconoclaste.